Ancien diplomate soviétique, Vladimir Fédorovski nous livre ici un ouvrage sur la manipulation, dans la lignée de toute une série d’opus sur les services de renseignement et de la Russie, pour lesquels il se montre particulièrement prolixe. Si les novices découvriront probablement quelques histoires croustillantes, nous regretterons une franche maladresse méthodologique sur les affaires plus contemporaines.
Ce livre relève plus de l’essai que du roman, contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser. L’auteur, qui parle pour sa part en conclusion d’« analyse », y exprime clairement une nostalgie sur le ton du « c’était mieux avant » :
« Ce qui m’inquiète le plus dans la phase que nous traversons est que les actions n’y sont plus calculées. La manipulation est pratiquée au naturel, à l’inspiration […]. Durant la Guerre Froide existait une distinction entre la politique réelle, la propagande et la manipulation. Les règles étaient établies. Dans le contexte actuel, on fait face à des sursauts imprévisibles, à des improvisations, des approximations dans la politique étrangère. »
Attaquant son propos au temps des tsars, il égraine de nombreuses affaires de manipulations, menées principalement par des Russes, même s’il évoque aussi des cas américains au moment de la Guerre Froide. L’auteur échoue à définir ce qu’est la manipulation, notamment dans ses nuances : sont présentés ici en vrac des cas de propagande, de désinformation, de subversion d’agents par des officiers de renseignement ou encore d’intoxication.
Vladimir Fédorovski formule un intéressant rappel historique qui fait écho aujourd’hui : « L’URSS a longtemps hurlé à la désinformation comme une « agression propre au monde capitaliste ». » Remarque toujours aussi vraie dans le contexte actuel de la guerre hybride, que les Occidentaux attribuent en boucle à une Russie… Qui y voit pour sa part une création des pays de l’Otan, chacun se renvoyant la responsabilité de cette nouvelle (?) forme d’agressivité.
Les spéculations qui vont trop loin
A force d’exemples, Vladimir Fédorovski démontre donc bien à quel point la Guerre Froide a été une période riche en manipulations, réussies ou non, de la part des deux camps. Témoin direct de cette époque, il cite certains des acteurs qu’il a connus et montre bien comment ils ont parfois pu travailler à éviter les drames.
Cependant, il devient particulièrement maladroit lorsqu’il aborde des cas plus contemporains. Sur l’affaire des déclarations mensongères de Colin Powell en 2003, par exemple, au sujet des armes de destruction massive irakiennes. Survolant ce dossier, il n’aide pas à comprendre de quoi il s’est agit et de qui a manipulé qui : la CIA et la Maison Blanche auraient-elles manipulé l’ancien secrétaire d’Etat ? Certains services américains ont-ils manipulés leurs collègues ? Sur ordre de qui ? La littérature sur le sujet est pourtant abondante.
Plus ennuyeux, il se lance dans une analyse de l’affaire Skripal qui repose sur des réflexions au coin du feu des plus légères. Notant que les accusations britanniques et américaines ne sont pas étayées, selon lui, par des preuves concrètes, c’est qu’il s’agirait probablement d’une manipulation et que puisque la culpabilité russe n’est pas indiscutable… C’est que Moscou n’a probablement rien à se reprocher. Peut-être aurait-il préféré que Theresa May brandisse une fiole devant les écrans de télévision ?
Ignorant la présence encore non justifiée d’officiers du GRU russe à proximité du site (voir notamment les travaux de Bellingcat et de The Insider), l’auteur préfère ironiser sur la mort des animaux de compagnie de Skripal, que personne n’a pensé à nourrir. Lui même résumant parfaitement la légèreté de son raisonnement par un bon vieux « à qui profite le crime ? » (page 248 : « A défaut de déterminer le véritable coupable, on se demandera à qui profite le crime »).
A défaut de preuves, d’autres préféreront éviter les spéculations en l’air pour admettre plus clairement leur ignorance. Ce qui aurait éviter à l’auteur de conclure par un brutal et lapidaire : la Russie est l’alliée naturelle de l’Europe contre l’islamisme qui conquiert le continent. Nous nous demandons franchement ce que ça vient faire là et les plus courageux s’attaqueront peut-être à l’imposante bibliographie de Vladimir Fédorovski s’ils veulent en savoir plus sur sa pensée.
FEDOROVSKI, V. (2018), « Le Roman vrai de la manipulation », Paris : Flammarion, 255p.